BRYAN FERRY
DYLANESQUE
Sortie 05/03/07
Virgin /EMI
Les interprétations que propose Bryan Ferry des chansons de Bob Dylan sont empreintes d’une intensité palpitante et enjouée. A l’instar de sa légendaire version de ‘A Hard Rain’s A-Gonna Fall’, enregistrée en 1973, qui transformait une vision apocalyptique en une exubérante parade, ces nouveaux enregistrements témoignent du talent de Bryan Ferry pour rendre hommage au titre original tout en le réinventant et en se le réappropriant intégralement. Déjà l'époque, en 1973, il avait eu cette idée: “J’ai pensé que ce serait génial d’enregistrer un album entier de reprises de Dylan. Finalement ce n’est qu'à la fin de l’année dernière que ce projet s’est réalisé.”
Entre l’idée et sa mise en oeuvre, Ferry n’a pas perdu son temps : parallèlement à sa carrière de leader de Roxy Music, élégante formation d’art-rock moderne et de pop-soul douce-amère, il s’est également imposé au cours de ces trente dernières années comme un grand auteur-compositeur (Love Is The Drug, Mother of Pearl, More Than This, Slave To Love) et un interprète résolument moderne, capable de transformer la chanson d’un autre en une version irrésistible et imprévisible d’une rare complexité émotionnelle et parfaitement structurée.
En reprenant des chansons écrites et enregistrées par d’autres artistes – qu’il s’agisse de ‘The Price of Love’, ‘As Time Goes By’ ou ‘I Put a Spell on You’ – Bryan Ferry invente une manière d’exprimer son style inimitable – créant des uvres uniques à partir de l’alléchant et inépuisable répertoire de la culture populaire. C’est cependant avec cette première et étonnante reprise de Hard Rain qu’il pénètrera – avec Jimi Hendrix et The Byrds – dans le club très fermé des artistes qui ont repris Bob Dylan en apportant un plus à l’original.
Cet album de chansons de Dylan – intitulé Dylanesque – s’inscrit davantage dans la lignée de These Foolish Things que de Avalon ou Boys & Girls. Les fans de ses opus plus récents – As Time Goes By, un album de standards des années 30 nommé aux Grammy Awards en 1999 et Frantic son opus passionné et tourmenté sorti en 2002 ainsi que les deux titres enregistrés pour le dernier projet Rogues' Gallery du producteur Hal Wilner – auront senti en lui l'émergence d’une nouvelle voix ; vulnérable, inspirée et quelque peu désinvolte. Avec ce nouvel album, Bryan s’est fait un plaisir de boucler l’enregistrement en une semaine. “On a vraiment mis la gomme cette fois !” déclare-t’il en riant, presque surpris d’une telle efficacité. “Je n’avais pas envie de retrouver cette sensation d’enfermement en studio. On a tout fait en live, les voix, l’harmonica....”
Entouré de la formation qui l’accompagne habituellement en tournée, Bryan Ferry a enregistré une vingtaine de chansons de Dylan, dont onze figurent sur cet album. Ces interprétations possèdent collectivement leur univers émotionnel propre – une fraîcheur et une intensité parfois entrecoupées d’ombres et imprégnées des humeurs du moment. Bryan Ferry se sert des chansons de Dylan – la qualité des textes, leur sensibilité, leur perspicacité ou leur subtilité – pour transmettre un message musical qui est en partie un portrait de Dylan et également un autoportrait. En tant que connaisseur de la musique d’autres artistes, appréciant plus particulièrement le blues, Ferry révèle la profondeur de son attachement pour l'écriture de Dylan – avec ses histoires et ruminations d’un troubadour des villes et des champs.
“Pour ce qui est des mots, je fonctionne un peu comme un acteur qui serait confronté à Shakespeare,” déclare Ferry. “J’aime aller à la recherche des mélodies que Dylan y a cachées. Colin Good [le pianiste] et moi-même, avons déchiffré les partitions, les clés, le tempo, le feeling. On a attaqué directement, sans faire de démos. En une semaine, on avait presque tout enregistré. On a ensuite passé deux jours à 4th Street Recording, un vieux studio de Santa Monica où les Beach Boys avaient enregistré des morceaux.”
Les paroles de Dylan sont pour la plupart profondément poétiques, les mots ayant été façonnés en fonction de son intonation abrupte, dure et parfois presque méprisante. Dans ses nouvelles versions, Ferry a créé une atmosphère vocale et musicale imprégnée de sa propre signature artistique : un savant mélange de romantisme et d’introspection, associé à un solide talent de musicien, puissant et résolument moderne. A cela vient s’ajouter cette qualité unique de Bryan Ferry : cette légère nuance dans sa voix, à la fois aguicheuse et désabusée, une présence forte et une sorte de détachement, permettant aux mots des chansons d’ouvrir les portes d’un univers plus excitant – où les émotions sont plus intenses.
‘Dylanesque’ démarre en force avec ‘Just Like Tom Thumb’s Blues’ – enregistré à l’origine par Dylan en 1965 – suivi de ‘Simple Twist of Fate’, extrait de l’album ‘Blood On The Tracks’ de 1975. Le premier morceau sert d’introduction à l’univers musical créé par Bryan Ferry au fil des onze chansons soigneusement sélectionnées pour cet opus. Dans un style à la fois dépouillé, intense et précis, les musiciens s’amusent à trouver leur chemin dans la chanson, apportant un élan musclé qui correspond parfaitement aux complaintes beatnik de Dylan, truffées d’ironie poétique et d’un franc cynisme.
L’un des morceaux de l’album les plus surprenants est vraisemblablement la reprise que propose Bryan Ferry de The Times They Are A Changin', hymne protestataire de 1964. “Comme je l’interprète, ce n’est pas forcément une chanson protestataire… Elle peut être envisagée différemment au gré de nos envies. J’ai grandi dans l’esprit du jazz qui veut qu’une chanson peut-être interprétée de plein de façons différentes…” Avec All I Really Want To Do Ferry a choisi d’adopter “un feeling ancien, qui évoque presque une ballade médiévale. Pour ce titre, qui a également été repris par les Byrds d’une façon très personnelle, il fallait que je parte dans une autre direction.”
Le génie de Bryan Ferry tient en partie à son talent pour interpréter des chansons d’autres artistes en intensifiant le feeling au point de virtuellement l’inverser. Tel est le cas avec ‘Simple Twist of Fate’, enregistré par Dylan comme un hymne aux égarés se laissant guider par le hasard, et revisité ici par Ferry avec une vivacité et une agilité irrésistible. On retrouve dans cette version l'énergie brute des bons vieux ‘pick-up bands’ américains, créant une solide base rythmiques permettant de faire passer les images fortes et le fatalisme résigné des textes. Cette version fait par ailleurs l’objet d’une brillante performance de Ferry à l’harmonica, évoquant le talent avec lequel il a utilisé cet instrument depuis ses débuts avec l’enregistrement de ‘Let’s Stick Together’.
Comme tous les grands albums de reprises, Dylanesque prend un malin plaisir à remettre en question certaines idées préconçues. If Not For You, la chanson d’amour country et abrupte de Dylan est plongée dans la brume de chaleur d’un quatuor à cordes et agrémenté “d'éléments sonores” de Brian Eno. Le laïus amer de Positively 4th Street est revisité par Bryan Ferry en une version fragile et vulnérable, soutenue par un délicieux arrangement de cordes du Dirty Three de Warren Ellis, interprété par le violoncelliste classique Anthony Pleeth.
L’album s’achève sur deux des plus célèbres morceaux de Dylan… “Knocking On Heaven’s Door était particulièrement risqué,” confie-t’il, “Ce morceau a déjà fait l’objet de tellement de reprises par une myriade de gens, mais c'était la même chose pour Smoke Gets In Your Eyes. All Along The Watchtower est un clin d’oeil à Hendrix et à Dylan. J’avais la base instrumentale depuis huit ans, avec simplement Robin Tower à la guitare acoustique, la basse, la batterie et moi. Souvent je suis revenu dessus en me disant qu’il faudrait un jour que je finisse ce morceau…”
L’univers musical de Bryan Ferry a toujours eu, en quelque sorte, une couleur particulière qui évoque l’atmosphère des piano bars. Son interprétation d’un ‘Positively 4th Street’ d’une hargne inégalée – enregistré à l’origine par Dylan juste quatre jours après avoir déclenché la fureur des traditionalistes de la folk music en jouant de la guitare électrique au Newport Folk Festival de 1965 – s’impose comme une chef d'uvre de maîtrise. Avec une élégance consommée, Ferry transforme le discours virulent de Dylan à l’attention de la communauté musicale en une chanson d’amour d’une rare puissance – il adoucit la version originale de façon à aiguiser l’amertume des paroles.
Et de conclure : “J’ai le sentiment que les gens s’attendent à une certaine élégance de ma part. Ma voix a gagné en profondeur et l’album possède un côté rude et aussi, j’espère, quelque chose d’envoûtant. Le chanteur que je suis a été comblé d’interpréter ces chansons.”
Ferry n’a jamais rencontré Bob Dylan.
“Ce que je lui dirai si je le rencontrais ? ‘J’espère que ça ne te pose pas de problèmes’.”